Pourquoi Robert Francis Prevost a-t-il choisi le nom de Léon XIV ? Deux papes, deux époques, une même volonté d’unir foi et monde moderne. Analyse.
Le choix du nom pontifical par un pape n’est jamais anodin. Il incarne une vision, une ligne pastorale, voire une ambition spirituelle ou politique.
En choisissant de s’appeler Léon XIV, le cardinal américain Robert Francis Prevost a surpris nombre d’observateurs de la scène religieuse mondiale. Un nom laissé en sommeil depuis la mort de Léon XIII en 1903, et qui résonne aujourd’hui comme un message fort adressé à l’Église et au monde.
Léon XIII, le pape de la modernité
Pour comprendre ce choix, il faut se pencher sur la figure de Léon XIII, né Vincenzo Gioacchino Pecci en 1810. Son long pontificat (1878-1903) s’est déroulé dans un contexte de bouleversements politiques, sociaux et scientifiques majeurs. Contrairement à son prédécesseur Pie IX, Léon XIII ne s’est pas enfermé dans une opposition rigide à la modernité. Au contraire, il a cherché à réconcilier l’Église avec les réalités de son temps.
Sa plus grande contribution reste Rerum novarum (1891), encyclique fondatrice de la doctrine sociale de l’Église catholique, qui dénonçait les injustices subies par les ouvriers à l’ère du capitalisme industriel tout en rejetant les idéologies socialistes. Il y défendait la dignité du travail, la justice sociale, le droit à un salaire décent, à la limitation du temps de travail et à la formation de syndicats.
Mais Léon XIII fut aussi un homme de science et de dialogue. Il encouragea les relations avec les intellectuels et les scientifiques, et rétablit l’enseignement thomiste comme pilier philosophique de l’Église. Sa lucidité face aux défis de la modernité et son ouverture aux idées nouvelles ont durablement marqué l’histoire du catholicisme.
Léon XIV : dans les pas du lion de la justice sociale
En choisissant Léon XIV comme nom de règne, le pape Robert Francis Prevost semble vouloir s’inscrire dans cette filiation. À l’heure de la révolution numérique, des inégalités croissantes et des bouleversements écologiques, il donne un signal : celui d’un pontificat qui entend conjuguer fidélité à la tradition et ouverture aux défis contemporains.
Matteo Bruni, directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, a d’ailleurs évoqué un engagement envers les travailleurs « à l’ère de l’intelligence artificielle ». Ce choix montre que le nouveau pape entend poser un regard attentif et exigeant sur les transformations actuelles du travail, de l’économie et de la société.
La plaisanterie rapportée par un cardinal lors du conclave – « jusqu’à présent, nous avions François qui parlait avec les loups. À présent, nous avons un lion, qui chassera les loups » – traduit aussi une volonté de fermeté face à certains courants qui menaceraient l’unité ou l’intégrité de l’Église.
Une continuité avec François et une référence à la raison
Léon XIV a également repris, dans ses premiers discours, le langage du pape François sur les ponts à bâtir entre les peuples, les cultures, et les marges de la société. Il a remercié son prédécesseur avec chaleur, marquant ainsi une continuité dans l’attention portée aux pauvres, aux migrants et à la planète.
Mais là où François incarnait la tendresse de saint François d’Assise, Léon XIV semble vouloir y adjoindre la rigueur intellectuelle et sociale de Léon XIII : une Église à la fois proche des pauvres et attentive aux débats d’idées, une Église de compassion et de raison.
Un choix lourd de sens
Le nom Léon XIV ne renvoie donc pas seulement à une figure historique. Il incarne une orientation : celle d’un pontificat qui veut parler à l’homme moderne sans renier ses racines. En honorant Léon XIII, le pape Robert Francis Prevost annonce une Église à l’écoute des réalités du monde, ancrée dans une tradition de justice sociale et ouverte aux avancées de la science.
E. Tristan SAHI
